Lundi 16 décembre 2013. Il est 11h15 lorsque je visite l’hôpital général de référence de Kitutu, zone de santé située au fond du territoire de Mwenga, en province du Sud-Kivu.
Guidé par Monsieur Marcelin Kitonda, superviseur local du projet « USHINDI : vaincre les violences sexuelles et basées sur le genre à l’est de la RDC », dont fait partie Children’s Voice, je trouve sur le premier lit de malade Mademoiselle Shuruku (le nom a été modifié), une jeune fille de 16 ans, naine de son état et infirme de suite d’une malformation congénitale qui ne lui a pas permis d’avoir des jambes, hormis de très petits pieds rattachés au petit bassin que l’on a du mal à distinguer du thorax. Elle bouge à peine de l’endroit où elle est assise, avec à peu près ses 35 ou 40 cm de hauteur. Macrocéphale, Shuruku attire l’attention de tout le monde et s’efforce apparemment de vivre avec cela. Mais pire, ignominieux et révoltant, cette enfant, malgré son piteux état, a été victime d’un viol et déflorée avec violence par un monsieur de la trentaine, marié et père de 3 enfants, dont toute la famille a fini par fuir le milieu par crainte de représailles de la communauté du village Kakemenge, extrêmement révoltée par l’incident.
Dénoncé quatre mois plus tard auprès de la police locale par la victime et sa maman, grâce à l’appui psychosocial de Mme Kasuku Bora Bernardine, conseillère Ushindi dans l’aire de santé, ce crime s’est malheureusement soldé par une grossesse à très haut risque et des complications physiologiques graves mettant en danger de mort la victime, au fur et à mesure que la grossesse grandit, comme le souligne le médecin directeur de l’hôpital. La pauvre Shukuru respire difficilement, son ventre devenant plus gros que le reste de son corps réuni. Son espoir : un véhicule du projet Ushindi dépêché pour elle et pour quelques autres victimes l’hôpital Panzi de Bukavu, chef-lieu de la province, à plus de 200 km. Mais au vu de l’état de délabrement très avancé de la route entre Bukavu, Mwenga et Kitutu, devrait-on croire que ce véhicule arrivera à temps ? Face à cette difficulté imminente d’accessibilité du milieu, M. Marcelin souligne que le projet Ushindi est prêt à utiliser tout autre moyen de bord pour aider la victime, la transférer à Bukavu où des spécialistes l’attendent pour une intervention appropriée.
A l’instar de Shukuru, le projet Ushindi, financé par l’agence américaine d’aide au développement (USAID) et exécuté par un consortium de huit ONG – dont IMA Word health, Heal Africa, ABA, Care, Save the Children, Children’s Voice, PPSSP et Panzi Foundation – vient en aide, depuis plus de 3 ans, à des milliers d’enfants et de femmes victimes des violences sexuelles et autres formes des violences basées sur le genre dans 10 zones de santé situées à l’est de la RDC. En plus des volets médical, psychosocial, économique et légal que développe le projet, la sensibilisation pour le changement de comportement est transversalement appuyée par Children’s Voice grâce à un réseau de 109 noyaux communautaires actifs dans 108 aires de santé. C’est grâce au travail de ces derniers que la jeune fille et sa famille ont été sensibilisés, référés aux structures de prise en charge et se sont décidés, in fine, de briser le silence !
La violence sexuelle reste une réalité macabre à l’est de la RDC et dont l’éradication est le cheval de bataille des nombreux acteurs humanitaires, sociaux et gouvernementaux, mais cette lutte s’avère hélas sujette d’une prise de conscience par les communautés locales meurtries par des conflits armés vieux de deux décennies, ravivés par la prolifération des groupes armés qui tuent, pillent et violent souvent au nom de la protection des certaines tribus ou ethnies. Ces mêmes communautés sont liées par des mythes ancestraux et des pratiques culturelles qui ne favorisent pas l’éclosion d’une société à égalité des droits et des chances entre l’homme et la femme. Au vu cependant des efforts de changement déjà entrepris localement, notamment à travers des structures de participation comme les noyaux communautaires, les associations villageoises d’épargne et de crédit (AVEC), les clubs d’enfants et les cercles d’alphabétisation, nous sommes tentés de croire que l’espoir est permis car le changement est un processus.
« Un homme qui viole n’est pas digne, même devant Dieu ! Nous les femmes et handicapées, nous avons aussi le droit d’être protégées par l’État congolais mais nous ne savons pas à qui confier nos problèmes parce que l’État n’est pas encore bien organisé. Je demande aux personnes de bonne volonté et aux ONG de continuer de nous aider » a déclaré Shukuru avec un sourire tiède qui cache à la fois des séquelles du choc subi et l’enchantement du fait qu’elle survive.
Jeannot KASSA